lundi 18 novembre 2013

Louis Pernin, « traumatisé par ses années au front »

Fabienne, 49 ans, se souvient de son grand-père Louis Pernin (1901-1986), gravement affaibli physiquement et psychologiquement par la « guerre de 14 ». « Quand l'histoire du siècle traverse une famille », dit-elle, c'est un bouleversement qui touche les personnes, les opinions politiques et les trajets familiaux.

Mon grand-père Louis Pernin aurait 112 ans aujourd'hui. Pétain était son grand homme. Né en 1901 dans le Jura, il part à la guerre très jeune, se fait gazer et revient traumatisé de ses années au front. Il fait de nombreux mois d'hôpital à Paris en rentrant, et rencontre Lucie – qui est lingère dans une maison bourgeoise. Ils se marient et déménagent à Lyon où Louis devient boulanger. Ils ont deux enfants : Jean, en 1926  et Janine (ma mère) en 1936. 

Louis ne parlait jamais de ses années au front. Quand la Seconde Guerre mondiale éclate, il est toujours pétainiste. Son fils Jean, lui,  est proche des idées de la Résistance et de Jean Moulin. Ma mère se souvient de discussions intenses père-fils. 

Le 26 mai 1944, Jean, qui a 18 ans, trouve la mort avec sa mère lors du bombardement de Lyon-Vaise par les Américains. Sa sœur Janine (ma mère) voit son frère et sa mère mourir sous ses yeux. Elle a 8 ans. Mon grand-père, qui est dans son fournil, s'en sort lui aussi mais devient quasiment fou de douleur. Sa fragilité psychologique, datant de ses années au front, est remontée. La perte de son fils et de sa femme l'a rendu inapte à s'occuper de sa fille survivante – qui passe plusieurs années en orphelinat. Mon grand-père, qui a 43 ans, ne sera plus jamais capable de retravailler – mais il se remarie quelques années plus tard.

Trente-quatre ans après ce bombardement, en 1978, mon père, ma mère et moi partons vivre aux États-Unis. Et mon grand-père dit à sa fille : « Tu pars chez ceux qui ont tué ta mère et ton frère. »

Il est mort à 85 ans. Il était encore pétainiste. Et n'aimait toujours pas les Américains. L'histoire, c'est compliqué.

Fabienne Cassagne (@FabienneCASSAGN), Lyon.

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