dimanche 24 novembre 2013

Eva : « Les silences sont des barrières à notre propre histoire »

Eva, 40 ans, a lu mes tweets sur mon grand-père le 11 novembre 2013. Et « les questions qu’on ne se pose jamais sont montées à la surface ». Alors elle a appelé ses parents pour leur demander qui étaient ses arrière-grands-pères, qui devaient avoir fait la Grande Guerre. Elle n’a pas appris grand-chose, car la mémoire, parfois, on l’enfouit. Mais elle a compris que « les témoignages sont nécessaires pour construire un relais intergénérationnel. Pour ne jamais oublier. »

C’était un matin de 11 novembre. Sur Twitter. Ce réseau sur lequel nous nous amusons à critiquer, fustiger, à partager nos humeurs, nos trouvailles dans la presse. Et autres futilités.

Et au milieu de ces messages, des phrases de 140 caractères sont venues troubler ma vision. Parce que rapidement des larmes ont embué mes yeux. J’ai lu votre histoireCelle de votre grand-père. Une histoire universelle. Universelle car tout à coup les questions sont montées à la surface. Ces questions que nous ne posons jamais. Celles qui pourtant nous fondent ; nous offrent les bases de ce que nous sommes aujourd’hui en 2013.

C’était un 11 novembre 2013. Il était 19 h 30. J’ai appelé mes parents. À 1 000 km de là. Jamais ils ne m’ont paru si loin. À nous trois, et grâce à vous, nous avons évoqué mes grands-pères. Celui que je n’ai pas connu. Mort trop jeune. Celui que j’ai tant chéri. Lui avait fait la guerre de 39-45. Nous n’en avons jamais parlé. Il ne fallait pas parler de la guerre. Ma grand-mère m’a avoué un jour au détour d’une conversation qu’il était dans la Résistance. Mais personne ne m’en a dit plus.

Pour la première fois, j’ai alors demandé qui étaient mes arrière-grands-pères. Ceux qui devaient avoir fait l’autre guerre. Celle dont vous parliez avec votre grand-père. Je n’ai rien appris de cette guerre. J’ai appris que mes parents ne parlaient pas de cette histoire avec leurs aïeux. Parce qu’on ne parle pas de ces choses-là, monsieur Kaplan. Non. On reconstitue au fur et à mesure des hypothèses. On recolle des morceaux de vie.

En ce soir du 11 novembre, j’ai appris que du côté de ma mère, nous étions allemands.
Et que personne ne savait si l’arrière-grand-père avait fait la guerre. Il était cheminot, engagé au Parti communiste et candidat à la ville de Nice contre un certain Jean Médecin. Ma grand-mère avait retrouvé un mot de condoléances de Jean Médecin quand son père était décédé. Un mot plein de respect pour celui qui fut son adversaire politique. Cette histoire, ma mère la connaissait. Mais elle n’a jamais vu ce bout de papier. Quant à l’autre homme de la famille, l’autre arrière-grand-père, il n’existait pas. Inconnu au bataillon comme on dit.

En ce soir du 11 novembre, j’ai appris que du côté de mon père, nous étions italiens. Et que personne ne savait si l’arrière-grand-père avait fait la guerre. Il s’était exilé sur ces terres tunisiennes où est née ma grand-mère, puis mon père. Quant à l’autre homme de la famille, l’autre arrière-grand-père, il n’existait pas. Non plus. Mon père sait qui il était. Un nom. Mais c’est tout. Presque inconnu au bataillon…

Alors, cher monsieur Kaplan, en ce jour de 11 novembre, je me suis dit que je ne pourrai guère apporter un témoignage constructif par rapport à l’histoire de votre grand-père. Mais, et je ne vous en remercierai jamais assez, à 40 ans j’ai de nouveau compris que la nationalité française était une notion relative. Que la relativité historique pouvait être source de tolérance.

J’ai compris que les silences et les non-dits devenaient des barrières à notre propre histoire. Que les témoignages étaient nécessaires pour construire un relais intergénérationnel. Pour ne jamais oublier. Ne jamais oublier.

Eva Roque (@roqueeva), née à Nice.
Témoignage également publié sur le blog d'Eva.

NB : le lien a été ajouté a posteriori.

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